Pour visualiser le contenu, veuillez activer les cookies marketing en cliquant sur le bouton ci-dessous.
Préférences de cookies
Halle polyvalente d’Ancy-Dornot (57) - Architecte : studiolada architectes © Olivier Mathiotte
Connaissez-vous le Jugaad ? Ce mot hindi, qui se traduit par solution innovante, improvisée, née de l’ingéniosité et de l’intelligence, est à la base du concept d’innovation frugale, qui infuse aujourd’hui les départements R&D des entreprises occidentales. Sommé de réduire son empreinte écologique, le secteur de la construction entre aussi dans le mouvement. Mais comment concilier créativité et frugalité ? Éléments de réponse.
Pour faire court, le Jugaad, c’est faire plus avec moins. Ses principes ont été exposés par Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja en 2013 dans “L’Innovation Jugaad. Redevenons ingénieux !” (Paris, Les Éditions Diateino). Deux ans plus tard, Radjou et Prabhu affinent le concept pour inciter les entreprises occidentales à modifier leurs façons d’innover et produire, dans “L’Innovation frugale : comment faire mieux avec moins” (Paris, Les Éditions Diateino, 2015).
La démarche d’innovation frugale s’inspire donc de pratiques déjà à l’œuvre dans des régions pauvres du monde, pour élaborer des solutions efficientes, sans sophistication superflue et avec le moins de moyens possible, mais sans concession sur la qualité et le service rendu. Ce dernier point la distingue du low cost, qui délivre un produit ou un service déjà existant à moindre coût, en abaissant le niveau de qualité et de prestation.
Pôle culturel Aria, Cornebarrieu (31) - Architecte : Atelier Philippe Madec Architecture
ujourd’hui, l’injonction de frugalité gagne le secteur de la construction, réputé énergivore et à l’impact environnemental élevé. Pour rappel, il représente environ 40 % des gaz à effet de serre, produit 40 % des déchets. Pour changer de paradigme, trois pionniers de l’architecture écoresponsable, Philippe Madec, Alain Bornarel, ingénieur fondateur du bureau d’études Tribu et Dominique Gauzin-Müller critique d’architecture et universitaire, ont publié en 2018 le “Manifeste pour la frugalité heureuse et créative dans l’architecture et l’aménagement des territoires urbains et ruraux”.
Au sens littéral, la frugalité (du latin frugalitas), c’est la juste consommation des fruits de la Terre, expliquent les auteurs. Dans l’architecture et l’aménagement des territoires, elle se traduit dans trois domaines : un usage pondéré du sol, la réduction de la consommation d’énergie avec un minimum de technicité, dans un esprit low-tech et la priorité à des matériaux de construction écologiques, issus de la région. Enfin et surtout, l’approche frugale accorde une place centrale aux usagers du bâtiment et à l’intelligence collective, pour répondre au mieux aux besoins et souhaits des habitants.
Tout projet frugal suppose donc la recherche concertée par tous les acteurs concernés (maître d’ouvrage, concepteur, fournisseurs, entreprises, habitants) de solutions sobres à tous les niveaux, en prenant en compte toute la durée de vie du bâtiment :
« Il ne s’agit pas juste de faire plus avec moins, mais de faire mieux avec moins et de trouver des manières de réduire la complexité à tous les niveaux de l’entreprise. »
Radjou et Prabhu, 2015
Centre pédagogique et scientifique Le Naturoptère, Sérignan-du-Comtat (84) Architecte mandataire / Arch’Eco - Architecte associé : Yves Perret
Le concept infuse avec succès au sein de la communauté des bâtisseurs. En témoigne une série de publications mettant en valeur des exemples inspirants d’architecture frugale dans les territoires.
Parmi eux, ARIA, le centre culturel en bois et terre crue réalisé à Cornebarrieu près de Toulouse (31) par Philippe Madec, dont les hautes cheminées incluent un système de ventilation à base de trappes qui s’ouvrent et se referment en fonction de la température extérieure. Une alternative à la climatisation efficace et low-tech, puisque non motorisée car “les moteurs, c’est de l’énergie grise, de l’entretien, de la casse, de l’obsolescence programmée”.
À Sérignan-du-Comtat, le Naturoptère (architectes Dominique Fahri et Yves Perret) arbore une toiture végétalisée débordante, qui le protège de la chaleur et accueille des espèces végétales et animales, en osmose avec son environnement. Autre exemple, dans l’Est de la France cette fois, l’architecte Christophe Aubertin a conçu la spectaculaire halle d’Ancy-Dornot réalisée en pin de Douglas par un charpentier du village. Bâtie en zone inondable, la structure est ouverte sur ses 4 côtés pour permettre la circulation des eaux. Pour un budget modeste (540 000 €) elle sert à de multiples usages, tour à tour gymnase, halle de marché, salle des fêtes ou chapiteau grâce à un système de bâches amovibles qui viennent habiller les façades pour clore l’espace.
Parc National du Mali, Bamako © Iwan Baan
Autre signe qui ne trompe pas, le jury du Prix Pritzker (le Nobel d’architecture) a distingué ces dernières années des frugaux convaincus. Comment gagner plus (d’espace, de lumière, de confort et d’agrément) dans les logements en dépensant moins (de surface, de matériaux, d’énergie, et d’argent) ? C’est l’équation que le duo Lacaton & Vassal, lauréat du Pritzker 2021, s’applique à résoudre en réhabilitant des ensembles de logements sociaux, avec une grande économie de moyens. Leur intervention à la Cité du Grand Parc à Bordeaux en est la démonstration magistrale.
Cette année, l’architecte burkinabé Diébédo Francis Kéré, a remporté le Graal, en appliquant tous les principes de la frugalité : un design innovant inspiré de la tradition africaine, l’emploi de ressources naturelles locales et de matériaux recyclables, des solutions pragmatiques adaptées au contexte économique et climatique et une méthode de construction participative, impliquant les populations autochtones. Kéré associe aux murs épais en argile ou en briques de terre crue des éléments en bois utilisés comme pare-soleil et espaces de circulation. De quoi faire rempart à la chaleur avec des techniques simples, qu’il enseigne aux populations locales. Le résultat est toujours frugal, mais jamais banal.
